Jan Reich
Jan Reich est un photographe tchèque né en 1942 à Prague. Après des études à la FAMU, il réalise plusieurs séries de photographies et cultive une nostalgie du lieu et de l’objet, mettant l’accent sur le mystère au travers de compositions frontales.

Jan Reich (1942-2009) – Courte biographie
Qui était Jan Reich ? Jan Reich, comme de nombreux artistes était un pauvre hère semblable a bien des égards à d’autres de son espèce. Chassé par le printemps de Prague, il arrive à Paris et photographie la ville lumière. Ce berceau des artistes du XIXème siècle exerce une attraction incomparable et rayonne encore d’un certain éclat en ce milieu du XXème siècle.
Photographies lors du séjours à Paris





Jan Reich arpente Prague et sa périphérie

« Les usines et les immeubles étaient tout sauf chics, mais ils avaient une poésie fabuleuse. »
— Jan Reich
Après un séjour parisien, retour à Prague. Ville qui lui colle à la peau. C’est ici, en tant qu’autochtone, en héritier, qu’il photographie une ville, à mi-chemin entre est et ouest… À la différence d’un Koudelka, il y reste viscéralement attaché et, entre vie de famille et héritage, poursuit une pratique photographique attaché au vérisme et à la poésie.


Quelques références temporelles et artistiques
Jan Reich : dates clés
- Etudie à la FAMU 1965-1970.
- Fuite et séjour en France, 1969_1970.
- Série Prague Disparait (Z cyklu Mizející Praha), années 1970-1980.
- Publication de Bohemia, 2005.
Influences et proximité artistique
Mouvements artistiques
- Surréalisme
- New topographics
- Český dřevák
Musées avec des œuvres de Jan Reich
The Moravian Gallery in Brno, Brno, République Tchèque
Museum of Fine Arts, Houston, Texas, États-Unis
Comment regarder ses images ?
Lorsque je regarde les photographies de Jan Reich, mon attention s’attarde sur l’atmosphère. Il parvient à conserver un équilibre entre la spatialité du paysage : lignes de fuite, superposition des plans, usage de compositions diagonales, en V ou triangulaires ; et un attrait pour l’aura de ses sujets, qui transparait par un aspect évanescent ou suranné grâce à l’usage d’un matériel photographique ancien, datant du XIXème siècle.
Jan Reich traduit parfaitement la nostalgie qui nous anime lors de la vision de lieux en déshérence. Il conjugue un langage graphique récent, avec des compositions rappelant par certains aspects ses contemporains des New Topographics (frontalité, géométrie et respect de la ligne d’horizon) et un rendu de l’image volontairement sombre et daté (sous exposition et appareil photo ancien). Ses œuvres mettent l’accent sur la fugacité et ont une fonction double de memento-mori et de souvenir.
La conception de la photographie de Jan Reich est d’ailleurs ancrée dans le ça a été cher à Roland Barthes. Dans son essai sur la photographie La chambre claire (1980), Roland Barthes explique que l’essence de la photographie tiendrait dans le témoignage d’un temps donné et photographié afin de le figer. Cet ‘ici et maintenant’ sous-tend le travail de Jan Reich.
« Prendre une photographie c’est l’expérience d’avoir ‘été là’, d’avoir expérimenté cela. Si je corrige cela chez moi, c’est faux. »
— Jan Reich

Comment apprécier les photographies et le style de Jan Reich ?
Une des pistes pour apprécier les photographies de Jan Reich, se tourner vers les grands auteurs qui ont écrit sur son travail : Bohumil Hrabal (1914-1997) et Milan Kundera (1929-2023. Je conseille de lire les préfaces des livres photographiques de Jan Reich, mais surtout les autres textes de ces deux écrivains tchèques.
Eux aussi ont vécu le Printemps de Prague (1968), la Révolution de Velours (1989), et Milan Kundera, par exemple, écrit un plaidoyer qui s’apparente à une élégie en l’honneur de la capitale tchèque : Prague, poème qui disparait (dans Le Débat, juin 1980).
Prague Disparait (Mizející Praha) : une série de photographies sur le devenir des lieux
« Prague, ce centre dramatique et douloureux du destin occidental, s’éloigne lentement dans les brumes de l’Europe de l’Est à laquelle elle n’a jamais appartenu. »
— Milan Kundera
Et nous, au travers des mots de Milan Kundera, nous retrouvons comme des explorations analogues à celles menées par Jan Reich dans la série Prague Disparait / Mizející Praha (projet débuté dans les années 1970).



« Je visite les zones que je photographie en amont : je passe beaucoup de temps à visiter et revisiter ces sites pour développer ma compréhension de l’espace, saisir le génie du lieu, et puis je reviens au moment du jour quand la lumière est parfaite. Pour avoir cet aspect vaporeux ou un peu embué, donnant une touche de mélancolie. C’est une des raisons pour lesquelles je me confine au noir et blanc : le noir et blanc est plus mystérieux. »
— Jan Reich
Ces artistes de la Mitteleuropa, Milan Kundera ou Jan Reich, mais aussi Josef Sudek ou Franz Kafka, apparaissent souvent comme pris entre deux mondes, voguant tels des Ulysse entre les époques et les mouvements artistiques.
Le gothique, le surréalisme et le baroque tourbillonnent dans leurs œuvres et ils parviennent à en faire quelque chose de nouveau qui déborde au-delà des frontières de leurs pays.

Bien évidemment, les artistes romantiques Hubert Robert, Caspar David Friedrich ou Carl Gustav Carus, permettent un parallèle facile, avec leur esthétique de la ruine. Parmi les contemporains de Jan Reich, des artistes extrêmement célèbres, de l’autre côté de l’Atlantique, cultivent des approches similaires. Je pense en particulier à Robert Smithson et sa série The Monuments of Passaic (1967). L’artiste retourne dans sa ville natale de Passaic (New Jersey) et joue, lui-aussi, sur cette question de temporalité où impression passée et témoignage de l’instant coexistent, à travers la mise en avant de sujets apparemment insignifiants.
Regarder une photographie de Jan Reich, c’est plonger dans les souvenirs de lieux périurbains souvent mal aimés, pour y apprécier l’usage du temps.



« Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. »
— Milan Kundera, l’Insoutenable légèreté de l’être, 1984.





Pour aller plus loin et découvrir l’univers artistique de Jan Reich
Pour approfondir, si vous lisez l’anglais, je vous conseille un petit livre très bien conçu aux éditions Fototorst, côté bibliographie francophone très peu de chose, une publication de 1995 éditée par l’Institut Français de Prague : Jan Reich, Les deux villes, Photographies. Le livre Jan Reich, Praha préfacé par Bohumil Hrabal existe également dans une édition multilingue (tchèque, anglais, français, italien, allemand, espagnol), je n’ai pas eu la chance de le consulter mais il me parait très bien.
Autres artistes et idées
Si vous appréciez les œuvres de Jan Reich, les travaux de Josef Sudek, Brassaï ou encore les photographies de l’exposition iconique New Topographics, avec des artistes comme Lewis Baltz, Robert Adams, qu’il est aussi possible de rapprocher des attentions photographiques de George Tice et d’Eugène Atget.

Sources :
HRUSKOVA, Tereza, Jan Reich, 2016, URL : https://artlist.cz/en/umelci/jan-reich/
DUFEK, Antonín, In memory of Jan Reich, URL : https://fotografmagazine.cz/en/magazine/in-memory-of-jan-reich/
VELINGER, Jan, Interview pour Radio Prague International, 25 octobre 2007, URL : https://english.radio.cz/jan-reich-czech-photographer-author-disappearing-prague-8602823
LEJEUNE, Anaël, Un « Tour des monuments de Passaic » (1967), l’image de la cité selon Robert Smithson, Janvier 2012, URL : https://shs.cairn.info/revue-espace-geographique-2011-4-page-367?lang=fr
ŠÁLEK, Petr, Artmagazin, Interview et photographies de Jan Reich en 2008, 2012, URL : https://artmagazin.eu/fotograf-jan-reich-v-terezianskem-kridle-stareho-kralovskeho-palace-v-praze/
ŠKÁCHA, Oldřich, Gallery of key figures of Oldřich Škácha, Jan Reich, URL : https://oldrichskacha.cz/galerie-osobnosti/en/0056/jan-reich